Locuteur 1 :
Bienvenue à Insights de TD Cowen. Ce balado réunit des penseurs de premier plan qui offrent leur éclairage et leurs réflexions sur ce qui façonne notre monde. Soyez des nôtres pour cette conversation avec les esprits les plus influents de nos secteurs mondiaux.
Yaron Werber :
Merci de vous joindre à nous pour un autre épisode passionnant de notre série de balados Comprendre la biotechnologie. Je m’appelle Yaron Werber et je suis analyste en biotechnologie à TD Cowen. Dans cet épisode intitulé Bâtir une société mondiale de biotechnologie, j’ai le plaisir de discuter avec John Oyler de son ascension au poste de chef de la direction, au cours de laquelle BeOne Medicines, anciennement BeiGene, est devenue une société mondiale de biotechnologie dotée d’une filière de développement inégalée dans les domaines de l’hématologie et des tumeurs solides. Il nous livrera aussi ses perspectives pour le secteur de la biotechnologie dans le climat actuel d’incertitude géopolitique.
John est cofondateur, président du conseil et chef de la direction de BeOne Medicines. Précédemment, il a été président et chef de la direction de BioDuro jusqu’à son acquisition par PPD. Auparavant, il a également été chef de la direction de Galenia Corp, une société de biotechnologie spécialisée dans les troubles du SNC. Plus loin encore, il a été fondateur et président de Telephia, une société d’information acquise par la société Nielsen. Il a entamé sa carrière comme consultant en gestion à McKinsey.
John, c’est un plaisir de vous recevoir. Merci beaucoup de vous joindre à nous, d’autant plus que vous participez cette fin de semaine aux nombreuses activités de l’ASCO et que vous êtes au beau milieu d’une période de croissance très transformatrice pour BeOne juste après avoir rebaptisé la société, l’avoir installée en Suisse et avoir atteint la rentabilité à la fin de l’année dernière. John, BeOne possède l’une des filières de développement les plus novatrices en biotechnologie. En hématologie, l’entreprise est déjà en tête de peloton avec Brukinsa, un médicament en passe de devenir le principal inhibiteur de la BTK (tyrosine kinase de Bruton) dans le monde, sans parler de sa filière inégalée dans les tumeurs solides, qui a publié de nombreux résultats cette année.
Quel est le secret pour favoriser l’innovation à l’échelle mondiale?
John Oyler :
Notre objectif depuis la création de la société vise à découvrir, développer et fabriquer des médicaments novateurs pour les patients du monde entier. C’est ce qui nous guide. Par conséquent, on a vraiment un environnement scientifique et entrepreneurial. Et c’est difficile de bâtir une culture comme celle-là. Mais je pense que c’est propre à notre entreprise. Notre fondateur est toujours en poste et on réunit le sentiment d’urgence d’une entreprise de biotechnologie en démarrage avec l’envergure et l’expertise d’une société pharmaceutique établie. Je pense que ce n’est pas banal.
Si vous visitez l’entreprise, vous verrez que le personnel en laboratoire travaille avec un sentiment d’urgence et que ça donne des résultats. Notre envergure nous confère des avantages, et c’est vraiment formidable. Par exemple, des employés peuvent prolonger leur journée de travail pour terminer une expérience en sachant qu’on va pouvoir se servir des données le lendemain pour concevoir la prochaine série ou faire avancer les choses; ça décuple la productivité. Il s’agit de bâtir cette culture. On essaie de penser différemment. On cherche toujours à s’améliorer et à faire plus vite. Ça se voit dans le sentiment d’appartenance et la vision partagée.
Yaron Werber :
Quand je pense à BeOne, dont on surveille le titre depuis déjà plusieurs années, votre rapidité d’action est un avantage concurrentiel, sans parler de votre vaste expertise en chimie, qu’il s’agisse d’ingénierie des anticorps, de chimie des petites molécules et maintenant aussi des conjugués anticorps-médicament. On attend d’ailleurs la publication des données. Quand on pense ne serait-ce qu’aux découvertes en science fondamentale, à la chimie thérapeutique, quelle est la véritable innovation? Quelle est l’expertise réelle dans ce domaine? D’où vient cette profonde différenciation?
John Oyler :
Comme je l’ai dit, ça repose au départ sur la culture et la qualité du personnel. En termes de rapidité, le même groupe en place comprend l’importance du temps. Quand on est une petite entreprise, on a souvent du mal à joindre les deux bouts. Après ça, on comprend vraiment que le temps, c’est de l’argent. Ça change le sentiment d’urgence et la compréhension de ce qui est possible avec des ressources limitées et une échéance fixe. Il faut tout de même trouver les moyens de livrer la marchandise et voir comment collaborer étroitement avec l’équipe pour en optimiser l’efficacité.
C’est comme ça qu’on s’est développés. Ça n’a jamais été facile, mais ça fait simplement partie de notre culture. Si un programme prévoit 12 étapes, il va y avoir un scientifique brillant pour expliquer comment son travail recoupe en amont et en aval celui d’autres fonctions. Ça permet à toute l’équipe de collaborer plus efficacement et d’écourter le développement de plusieurs semaines. C’est impressionnant.
Yaron Werber :
En parlant de vos avantages concurrentiels, votre équipe souligne votre portée mondiale, vos exploits cliniques et l’expertise à laquelle vous contribuez dans divers pays et continents. L’inscription est répartie de manière à ce que vous puissiez passer très rapidement d’un centre à l’autre. Votre programme sur les inhibiteurs de CDK4 n’a plus que six, peut-être neuf ou douze mois de retard sur celui de Pfizer. Vous avez pratiquement rattrapé une année en deux ans à peine. Quel est le secret? Comment y êtes-vous arrivés?
John Oyler :
Dès le début, on a cherché à bâtir une entreprise pérenne dotée d’un avantage concurrentiel durable. Il faut se battre dans notre secteur d’activité. C’est difficile de générer le rendement du capital investi nécessaire pour faire de la recherche, et le secteur s’y emploie de son mieux.
Au début de notre processus, on a reçu d’excellents conseils de Memorial Sloan Kettering et de Charles Sawyers, pour qui : « C’est bien d’exceller en recherche, mais ce sont les essais cliniques qui canalisent les fonds et les énergies. » En se penchant sur la question, on a constaté que les essais cliniques représentaient plus des trois quarts du coût pour développer un médicament. Le coût associé à la recherche est négligeable.
Du point de vue du temps consacré au développement clinique, dans la plupart des entreprises du secteur que je connais, le conseil d’administration se plaint du retard dans le développement clinique. On pointe du doigt les organisations de recherche contractuelle (ORC). C’est la façon de faire; voilà tout. Lors d’une conférence téléphonique aujourd’hui, un membre du conseil d’administration a dit : « C’est la seule société pour laquelle j’ai travaillé qui devance le calendrier des essais cliniques. » C’est planifié dès le début. L’idée est que, pour amener plus rapidement les molécules aux patients, élaborer un modèle qui dégage un meilleur rendement du capital investi et rendre les médicaments plus abordables, il faut repenser les essais cliniques.
Quel est le problème? La plupart des essais cliniques ont lieu dans les meilleurs centres des principaux pays. Le nombre de patients a légèrement augmenté, mais pas de façon spectaculaire. La science explose et les occasions de vérifier des hypothèses incroyables peuvent aller du simple au double. Mais nous n’avons tout simplement pas la capacité de les exploiter. Tout prend du retard et coûte cher en raison de la pénurie.
Il fallait trouver une façon de construire un système ici aux États-Unis, en Europe ou ailleurs, qui permettrait d’inscrire plus de patients et de centres aux essais cliniques. Pour y arriver, selon moi, il faut deux choses : d’abord, court-circuiter les ORC. On les évite, en général. Ensuite, adopter les plus récentes technologies pour tout rapatrier à l’interne, construire notre propre système et optimiser le processus, ce qu’on s’efforce de faire actuellement.
Pendant 15 ans, on a pris la peine d’investir massivement, même si cette décision a parfois soulevé des doutes. Mais on compte maintenant sur une équipe interne mondiale de plus de 3 700 collègues qui effectuent des essais cliniques dans plus de 40 pays.
Aujourd’hui, les fruits de cet investissement et de ces efforts sont reconnus et, comme on contrôle nos programmes, le sentiment d’urgence est là. Les sites nous adorent, ce qui n’est pas toujours le cas pour les ORC. On a accès à des sites plus sélectifs parce qu’on offre une bien meilleure qualité grâce à un système conçu en ce sens, ce qui favorise le sentiment d’appartenance du personnel.
On a donc beaucoup réduit le temps par cohorte des études à dose croissante en réussissant à prévoir les échéances au jour plutôt qu’à la semaine ou au mois près. On est vraiment enthousiastes à l’idée de déployer toute la technologie. Et, compte tenu de notre envergure et de notre autonomie d’action, on a la capacité d’intégrer des choses comme l’apprentissage des langues et l’intelligence artificielle dans toute la filière de développement.
Je prends l’exemple du programme sur les inhibiteurs de CDK4 qui a commencé en clinique et qui compte, je crois, 300 patients inscrits en seulement 18 mois. Bien des patients dans cette étude sont ici aux États-Unis, mais on en a aussi recrutés beaucoup au Brésil, dont bon nombre n’avaient jamais été traités par un inhibiteur de CDK4/6, ce qui a accéléré le programme, en particulier pour la première ligne. Ce programme a commencé en clinique, probablement trois ans après celui de Pfizer, le leader dont on croit avoir déjà réduit l’avance de moitié.
Yaron Werber :
Ça fait même trois ans. Oui. Parlons de votre déménagement récent en Suisse. Votre société est vraiment un acteur mondial en oncologie, domaine dont vous faites partie depuis le début et que vous continuez à développer. Plus de la moitié des revenus proviennent maintenant de l’extérieur de la Chine, le segment qui enregistre la croissance la plus rapide. Quels sont les défis associés à la gestion d’un géant mondial de biotechnologie, compte tenu des multiples cultures organisationnelles et fuseaux horaires? La communication n’est pas facile et la rationalisation non plus. Comment y arrivez-vous?
John Oyler :
Ça commence par la culture. Pour nous, l’esprit d’entreprise et le sentiment d’urgence ont toujours été très importants; ça permet de faire beaucoup de chemin. Mais, avant de fournir des médicaments à l’échelle mondiale, il faut aussi comprendre à qui et à quel système.
Par exemple, en ce qui concerne notre inhibiteur PD-1, dans nombre de pays, l’administration intraveineuse fonctionne bien, mais, dans certains autres, il n’y a pas de centres de perfusion. La chaîne du froid est moins efficace; alors, comment offrir le médicament à ces patients? Les défis sont différents. Même en Europe, on sait que ce qui est nécessaire pour le remboursement ou l’approbation peut être très différent – parfois mieux, parfois pire – par rapport aux États-Unis. À moins de bien comprendre le système dans ces pays ainsi que les patients et les cliniciens, on ne peut rien développer de la bonne façon.
La question est de savoir notamment comment être un expert à l’échelle mondiale sans devenir une société locale quelque part. Je pense que c’est difficile. Dans notre cas, on voulait vraiment bâtir une entreprise mondiale dès le départ. Entre autres, il fallait disséminer notre équipe de direction partout dans le monde, ce qu’on a fait.
Souvent, l’équipe de direction voyage dans les mêmes avions, quel que soit le lieu de rencontre. On vient de se réunir ici à San Mateo; la prochaine rencontre aura lieu à Bâle dans une semaine ou deux. On voyage beaucoup et on a fortement encouragé le déploiement de la technologie Zoom et de bien d’autres outils qui permettent de travailler à distance.
On étudie les sociétés de haute technologie et leur façon de travailler à distance, et elles le font très efficacement, ce qui est moins vrai dans notre secteur. Notre activité est plus complexe et plus interfonctionnelle. Ce n’est pas facile, mais il faut déterminer comment vous travaillez réellement à l’échelle mondiale sans imposer à personne qui connaît vos besoins de siéger régulièrement dans la même pièce pour prendre des décisions. Comment se réunir efficacement au besoin et bien communiquer sur d’autres sujets, compte tenu de l’évolution de la technologie et de la façon de nous organiser pour prendre les meilleures décisions.
Yaron Werber :
Comment y arrivez-vous? Déléguez-vous cette responsabilité aux hauts dirigeants des opérations, tout en conservant les réunions de l’équipe de direction une fois par semaine? Comment fonctionne le système?
John Oyler :
D’abord, il faut reconnaître la quantité d’information consommée aujourd’hui. On est passé du simple au double. L’information arrive à tout moment, à moins de pouvoir s’en couper, ce qui prend des heures et nous prive de sommeil. La quantité d’information est incroyable. La question est donc de savoir comment organiser et prioriser ce flux d’information et le rendre accessible de la façon la plus utile possible dans l’entreprise? C’est l’une des choses les plus importantes pour être efficace et éviter d’être submergé; il faut déterminer les priorités.
Pour ce qui est de la communication, on signale les retards par messagerie vocale et par clavardage. Les vidéos et les appels servent à la communication directe. Et on se voit assez régulièrement en personne parce que c’est nécessaire. Il faut développer ces relations. On s’efforce d’engager des conversations parallèles qui s’écartent de l’ordre du jour; c’est là que la magie opère la plupart du temps. Notre optimisation pourrait être encore meilleure; on est aussi absorbés par tout ce qui se passe sur la planète. On s’améliore comme tout le monde. Mais je pense qu’on est vraiment à la fine pointe de la technologie dans notre secteur, et on va continuer d’évoluer avec elle. On s’en réjouit d’ailleurs.
Yaron Werber :
Pouvez-vous également décrire comment BeOne innove en recherche à l’échelle mondiale?
John Oyler :
Excellente question. Pour commencer, comme pour les essais cliniques, on voulait faire les choses nous-mêmes. On dépend moins des ORC que la plupart des sociétés qui ont une petite équipe et qui envoient tout leur travail à des entreprises comme WuXi. On voulait tout faire nous-mêmes. Par conséquent, on est très présents en recherche sur le sol chinois; on s’en occupe nous-mêmes. On n’a pas à faire affaire avec Beijing ou Shanghai, en Chine continentale. On possède aussi un centre de recherche à Taipei, à Taïwan, et un autre en Californie, à San Carlos, où je me trouve.
Globalement, on veut travailler de façon autonome à l’interne; ça nous permet d’être meilleurs, plus rapides, d’améliorer le système et de réunir l’information. Il y a d’énormes forces et capacités à l’œuvre dans tous ces domaines, et on veut s’entourer de gens très compétents, très motivés qui font ce choix. Je pense qu’on va continuer de développer ce volet, même s’il a déjà atteint une certaine taille. Ça fait partie intégrante de nos activités et c’est essentiel à notre réussite.
Yaron Werber :
Parlez-nous de votre empreinte manufacturière. Vous êtes présents à l’échelle mondiale, actuellement.
John Oyler :
Ce qui nous enthousiasme le plus, c’est le site de Princeton que nous avons mis sur pied au début de l’année dernière. Ce projet de 800 millions de dollars regroupe une usine de produits biologiques et un centre de développement clinique à Hopewell, en périphérie de Princeton, au New Jersey. On occupe 42 acres, et on parle d’agrandir; c’est un endroit formidable qui regorge de talents d’incroyables.
On avait à l’origine un centre à Philadelphie, mais on s’est rapprochés des géants en oncologie plus au nord, au New Jersey. Je parle de BMS et de Celgene, qui ont été nos partenaires pendant un certain temps, de Merck, notre investisseur initial, et de J&J, qui nous a cédé sous licence certains actifs. Ce sont d’excellentes sociétés d’oncologie. L’endroit fourmille de talents; c’est formidable d’y être. Pour sa part, Bâle est le berceau de Roche et de Novartis, deux autres géants; c’est la plaque tournante en Europe de ce point de vue. On veut avoir des yeux partout et recruter les meilleurs talents possibles pour comprendre tous les marchés et mener des essais cliniques sans frontières; c’est nécessaire.
Yaron Werber :
On nous demande souvent comment va BeOne actuellement. Il y a beaucoup d’incertitude à l’échelle mondiale concernant les tarifs douaniers potentiels et les prix en vertu de la clause de la nation la plus favorisée. Quelle est votre stratégie?
John Oyler :
Bien sûr. Je pense entre autres à l’Inflation Reduction Act et à la façon dont cette loi est appliquée. On vit dans un monde incertain et complexe; ça n’avantage pas le secteur. Il faut plus de certitude pour bien planifier. Pour notre industrie, les investissements sont énormes et prennent beaucoup de temps; toute cette incertitude pèse lourd.
En ce qui concerne les bénéfices du premier trimestre, malgré toute l’incertitude, nous n’avons pas hésité à confirmer nos prévisions. Elles correspondent à nos meilleures estimations des répercussions engendrées par les nouveaux tarifs douaniers, tels qu’on les comprenait alors. Autrement dit, il n’y a pas eu de changements majeurs. Notre exposition aux tarifs douaniers est limitée si on se compare aux autres sociétés du secteur; on produit Brukinsa aux États-Unis pour le marché américain. Récemment, on a aussi investi de façon proactive dans l’approvisionnement mondial en produits biologiques à partir de nos installations de pointe à Hopewell, au New Jersey. Ces mesures ont permis de diversifier la chaîne d’approvisionnement mondiale; on était bien en avance. On voulait quand même aller dans cette direction. C’était logique. On ne veut pas qu’un centre ferme ses portes. Il vaut mieux prévoir deux fois plutôt qu’une; on ne sait jamais ce qui va se passer. Je pense à la COVID-19 et à l’interruption des chaînes d’approvisionnement pour d’autres raisons que les tarifs douaniers.
Cela dit, il reste encore beaucoup d’incertitude et elle va continuer d’évoluer. On cherche constamment à s’adapter. On élabore des scénarios. En général, on est chanceux d’être à un stade où nos activités sont assez diversifiées dans le monde. Ça vaut aussi pour la chaîne d’approvisionnement. Et on pense pouvoir s’adapter à l’évolution du monde, compte tenu de notre volonté depuis le début de profiter d’avantages concurrentiels stratégiques qui réduisent nos coûts de R-D par rapport à ceux de la plupart des sociétés.
Yaron Werber :
Dans un autre ordre d’idées, très peu de gens qui ont bâti une entreprise mondiale aujourd’hui rentable en sont encore aux commandes. On peut sans doute compter sur les doigts d’une seule main le nombre de fondateurs qui sont encore chefs de la direction. Quelle est la décision la plus difficile que vous ayez prise en tant que chef de la direction de BeOne? Pourquoi était-elle difficile?
John Oyler :
Les décisions les plus difficiles concernent la stratégie et, honnêtement, le côté humain. C’est un casse-tête.
En ce qui concerne la stratégie, on a une opinion scientifique sur ce qui pourrait fonctionner ou non. Et je pense qu’au début de notre entreprise, beaucoup de monde était très emballé par la cible pour les inhibiteurs d’IDO, contrairement à notre équipe scientifique. On avait des options pour parier dans le domaine, mais on a préféré faire autre chose. Ça s’est avéré un bon choix. Mais ce n’était qu’une décision initiale soumise probablement à beaucoup de pression de la part du secteur pour faire telle ou telle chose. On est allés à l’encontre de l’opinion générale en disant qu’on n’y croyait pas d’un point de vue scientifique, que c’était du battage publicitaire.
Il y a aussi l’exemple du programme des inhibiteurs de la BTK, qui a mené à la découverte de Brukinsa, un médicament formidable. J’adore voir les données à ce sujet; ça me rend très fier de ce qu’on a fait. De ce point de vue, pendant la sélection des candidats au programme, on entendait souvent que l’ibrutinib est un inhibiteur efficace de kinase parce qu’il n’est pas sélectif. Ce n’était pas un inhibiteur de la BTK et ça ne pourrait jamais faire un composé analogue. Mais on y est arrivés. On en a élaboré un qui était non sélectif aux mêmes endroits, pour reprendre ce que tout le monde disait. Et c’était probablement de la mésinformation, mais tous les investisseurs nous demandaient ce qu’on allait faire. D’après la science, il fallait une molécule sélective qui présente un bien meilleur profil pharmacocinétique et qui reste dans les tissus en tout temps. C’est impossible pour Imbruvica, qui fonctionne grâce à l’activité de la BTK.
Il y a eu l’histoire des inhibiteurs d’ITK. Je suis sûr que vous vous en souvenez. On n’arrivait pas à reproduire les données et on n’y a pas donné suite. Tous les investisseurs penchaient pour la non-sélectivité. Quel candidat choisir? Mon cofondateur a alors déclaré : « C’est la conversation la plus stupide que j’aie jamais eue. » Nous, on privilégie la science. Pourquoi vous agitez-vous autant? On ne suit pas la mode. » On s’en est tenus à ça. On a choisi Brukinsa; on a coupé court à la discussion et on s’est fiés à la science. Ces décisions sont difficiles parce qu’elles vont à l’encontre de l’opinion générale. Pourtant, elles montrent le caractère de l’entreprise, sa capacité à faire les bonnes choses, même lorsque ce n’est pas facile.
Yaron Werber :
Ç’a été toute une bataille; je m’en souviens. Chaque jour, on allait au travail en affrontant la mésinformation, comme vous l’avez dit. Les données étaient toujours très encourageantes, mais il fallait attendre les données cliniques, les résultats réels. J’aimerais parler de votre rôle de chef de la direction. Quelle est votre plus grande force?
John Oyler :
Sans aucun doute, le fait de compter sur une excellente équipe. J’ai cette chance. Tout passe par l’équipe. Il faut savoir s’entourer de personnes incroyables qui partagent votre vision, vous inspirent et vous permettent d’apprendre chaque jour.
Chaque société que j’ai fondée, je ne l’ai pas fait tout seul. J’avais un partenaire et une équipe. Il y a des journées plus difficiles. On en a tous, quel que soit le métier. Mais il faut alors que d’autres assument le fardeau. Chaque jour, bien des tâches s’accomplissent qui échappent à chacun de nous. Quelqu’un fait bouger les choses. À mon avis, aucune entreprise ne repose uniquement sur le chef de la direction. C’est plutôt une affaire d’équipe. Et je pense qu’on a de la chance de ce point de vue. Ce qui est remarquable, c’est que les choses ne font que s’améliorer. On a multiplié les embauches. Et ce ne sont pas des entrepreneurs, du moins, pas Aaron. Il a passé sa vie chez Merck. Xiao Bing n’est pas non plus un entrepreneur. Il a toujours travaillé dans de grandes entreprises. Mais je dois dire que ce sont des entrepreneurs dans l’âme. Rien de moins. Ils ont l’urgence chevillée au corps; ils sont vraiment débrouillards.
Un ami qui était chef de la direction et qui l’est peut-être encore m’a déjà dit : « La bureaucratie arrive même à s’incruster dans une entreprise de quatre personnes, si on ne s’en méfie pas. » Que l’entreprise soit grande ou petite, ça ne définit pas l’entrepreneuriat. Même dans une petite entreprise, il faut lutter contre la bureaucratie – j’y crois vraiment. La meilleure chose, c’est que notre équipe partage la même vision. Ce sont de bonnes personnes qui s’apprécient mutuellement. On aime passer du temps ensemble; c’est ce qui rend l’entreprise exceptionnelle, je pense.
Yaron Werber :
Quel aspect de votre style de leadership devez-vous encore travailler?
John Oyler :
L’ensemble de l’œuvre. L’ensemble de l’œuvre. Je pense toujours à la rétroaction positive. L’équipe doit absolument se concentrer sur ce qu’elle peut améliorer; c’est facile de s’autocongratuler en parlant de ce qu’on peut mieux faire. Tout le monde apprécie les deux. Il ne faut pas l’oublier. Mais, si on retient d’autres perspectives, il faut voir comment mieux établir les priorités, comment prendre des décisions plus efficaces, comment s’adapter alors que tout s’accélère et comment aboutir plus rapidement aux décisions difficiles qui vous semblent les bonnes. Il faut s’améliorer dans tous ces aspects. Chacun est un projet en devenir. Je ne suis pas différent des autres. Je peux moi aussi progresser dans bien des domaines.
Yaron Werber :
Oui. Je pense qu’on en a déjà parlé, mais ma dernière question est un peu personnelle et humoristique. Selon vous, quel superpouvoir a contribué à votre réussite? Vous avez parlé de l’équipe, ce qui est essentiel, mais vous avez fait autre chose qui vous a mené ici et qui a permis à l’entreprise de se développer. Qu’est-ce que c’est d’après vous?
John Oyler :
Je pense que mon superpouvoir, si j’en ai un, c’est ma famille. Ma famille m’appuie énormément dans mon travail et comprend mes défis. Elle veut aussi lutter contre le cancer. Elle déteste cette malade. Le soutien, c’est la base de tout. Il y a des journées longues et difficiles, des moments de fatigue et d’épuisement, sans oublier les jours où on pense avoir raison, mais que ça soulève de l’opposition. Parfois, on a tort et d’autres fois on a raison. C’est important d’avoir le soutien de son entourage dans ce qu’on fait, tout ce monde qui essaie de nous aider et à qui on peut parler au besoin. Je pense que c’est ce superpouvoir qui fait ma force et ma réussite.
Yaron Werber :
Merci beaucoup pour cet entretien. C’est toujours un plaisir de vous voir; je vais continuer de vous suivre de très près. C’est l’une des histoires les plus intéressantes en biotechnologie, et il y en a beaucoup d’autres à venir. Merci du temps que vous nous avez consacré.
John Oyler :
Très bien. Merci.
Locuteur 1 :
Merci d’avoir été des nôtres. Ne manquez pas le prochain épisode du balado Insights de TD Cowen.